L'activité de notation financière consiste à évaluer la qualité de crédit (en d'autres termes, la solvabilité) d'un débiteur au titre d'un instrument financier.
La notation se comprend ainsi comme un « label de qualité » internationalement reconnu, une grille de lecture et d'orientation pour les investisseurs et les agences de notation, qui les délivrent, comme autant de « dispensateurs de confiance » au sein du système financier.
La crise européenne des dettes souveraines a conféré à ces acteurs, jusqu'alors familiers des seuls initiés, une publicité encore inédite sur le territoire européen. Boucs émissaires pour certains, véritables coupables pour d'autres, les agences de notation ont cristallisé, au cœur de la tourmente financière, les appréhensions et les doutes d'une Europe en peine face à une succession d'événements dont l'ampleur fut inédite. La virulence de ce débat se comprend à l'aune de l’autorité acquise et reconnue à ces acteurs, qui se mesure aux effets qu'elle produit : la notation financière est devenue un instrument incontournable de l'action publique européenne, autrement dit une partie intégrante « des relations, des pratiques et des représentations qui concourent à la production politiquement légitimée de modes de régulation des rapports sociaux » (selon la définition de l'action publique proposée par V. Dubois). Les critiques dont les agences ont été – et sont encore – l’objet se traduisent par de multiples « luttes », sur le terrain réglementaire et judiciaire, qui ont pu interroger la pérennité de l'instrument : les notations financières, instrument précaire de l'action publique européenne ? Nous ne le pensons pas : comme en atteste un premier bilan de la réglementation européenne adoptée au lendemain de la crise, les agences demeurent, bien qu'ébranlées et perfectibles, des acteurs incontournables du modèle régulatoire européen.
L'autorité acquise par les agences de notation de crédit au sein de l’Union européenne se mesure au travers des fonctions régulatoire et normative qu’elles assument dans le domaine bancaire et financier. « Les notations de crédit ne sont pas de simples avis sur la valeur ou le prix d’un instrument financier ou d’une obligation financière. Les agences de notation de crédit ne sont pas de simples analystes financiers ou conseillers en investissement » souligne le Règlement Agences de 2013. En effet, plus qu'un média, la notation constitue une certification des émissions. Ce rôle, hier encore reconnu aux acteurs bancaires, est aujourd'hui principalement dévolu aux agences de notation, qui « labellisent » les émetteurs et leurs émissions en apportant leur crédit ou en déprisant leur qualité. La fonction régulatoire qui en résulte, identifiée dès les années quatre- vingt-dix par la doctrine américaine, se mesure ainsi à l'aune des effets produits par les notations financières. Ces effets ont en outre été renforcés par l’institutionnalisation des agences en qualité de régulateur.
L'effet secondaire de l'institutionnalisation de la fonction régulatoire des agences réside dans la posture d'agent de normalisation qu'elle confère à ces acteurs. Noter n'est pas seulement informer et réguler : noter c'est aussi (et surtout peut-être), normer : à partir du moment où la notation est devenue juridiquement contraignante et discriminante, les agences ont acquis une véritable fonction normative et les critères de notation se sont imposés comme autant de standards de solvabilité. Ces standards répondent à un modèle conceptuel particulier qui lie les émetteurs souverains désireux de se financer sur les marchés financiers.
Le processus d'évaluation auquel les émetteurs sont soumis restreint ainsi leur marge décisionnelle et, dans le cas des émetteurs étatiques, leur souveraineté. Il impose en effet une vision idéologiquement (et, dans une certaine mesure culturellement) orientée de la gestion entrepreneuriale et des politiques publiques vertueuses, qui se révèle décisive dans l’élaboration des stratégies et des programmes de ces acteurs. L’autorité acquise par ces agences de notation de crédit, conjuguée aux critiques auxquelles elles ont été exposées à l’occasion de la crise européenne des dettes souveraines, ont conduit les institutions européennes à repenser le cadre régulatoire dans lequel elles s’inscrivaient jusqu’alors : la confiance en l’autorégulation a cédé à la volonté d’encadrer étroitement l’activité des agences, volonté qui s’est traduite par l’adoption d’une réglementation européenne idoine. Celle-ci n’est pas exempte de critiques et rencontre de nombreux obstacles dans sa mise en œuvre. Le premier bilan de l’action européenne, contrasté, témoigne ainsi de la difficulté de réappropriation, par les autorités publiques européennes, de ce domaine d’activité.
Trois règlements européens successifs ont été adoptés entre 2009 et 2013. Le Règlement de 2009 a, pour la première fois, introduit un statut européen pour les agences, par la voie d'une procédure d'enregistrement. Deux autres règlements sont venus préciser les premières initiatives. Le Règlement de 2011 complète le dispositif de contrôle et de sanctions du régulateur, tout en prenant en compte la création de la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers (ci-après AEMF). L'innovation majeure du Règlement Agences révisé consiste en effet dans le transfert des compétences opéré au profit de celle-ci, qui centralise désormais l'enregistrement et la surveillance des agences de notation en Europe. Enfin, le Règlement de 2013 a pour ambition de réduire la dépendance réglementaire et prudentielle aux notations et d'aménager les dispositions réglementaires spécifiques à la notation souveraine. Au sein de ce dispositif législatif, deux séries de mesures visent à contrecarrer le pouvoir des agences : dans une première, l’Union s’efforce de subordonner les agences en encadrant leurs fonctions régulatoires ; dans une seconde, elle s’attaque à leur autorité normative et tente de se réapproprier la production des standards de solvabilité.
Trois ans après l’entrée en vigueur de la dernière mouture du Règlement Agences, le bilan est mitigé. En dépit de la volonté européenne exprimée, le modèle régulatoire n’apparaît pas renouvelé dans ses fondements : les grandes agences de notation financière demeurent à ce jour les acteurs incontournables indomptés de la régulation bancaire et financière. Les succès remportés sur le terrain judiciaire à l’échelon global laissent toutefois entrevoir de véritables leviers d’action au bénéfice des émetteurs et des investisseurs, qui tendent à compenser les lacunes de la régulation européenne. Bien que la réglementation ne soit pas parvenue à substituer, comme le législateur l’a un temps espéré, un modèle de régulation publique, elle dessine un modèle de corégulation dont le juge pourrait contribuer à redéfinir les équilibres dans le sens de l’intérêt général. Il serait en ce sens souhaitable que le régime européen de responsabilité des agences soit repensé sous les traits du droit commun. À cette condition, les agences feraient l’objet de contre-pouvoirs et la notation financière pourrait être élaborée et conçue comme un outil vertueux de l’action publique européenne.