En référence à 2 publications scientifiques de Cécile Cézanne,(GREDEG - CNRS - UCA) Sandra Rigot et Clémence Bourcet
Ces dernières années, la prise de conscience des risques que représente le changement climatique pour nos sociétés sur le plan social, économique et financier n’a cessé de s’intensifier.
En cause, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) qui proviennent essentiellement d’activités humaines liées à l’utilisation des combustibles fossiles (en particulier pour la production d’électricité et les transports), à la déforestation, à l’agriculture…
Une réduction substantielle de ces émissions passe notamment par le développement des énergies renouvelables (hydraulique, éolien, solaire, biomasse…) ; ces dernières représentaient, pour la France en 2017, 20 % de l’énergie finale consommée dans le secteur électrique.
L’essor de la participation citoyenne
Une telle transition implique des investissements à long terme que le système financier traditionnel n’est peut-être pas en mesure d’assumer seul. Si l’État joue un rôle central de soutien au déploiement des renouvelables, les besoins de financement restent importants pour un développement à grande échelle de ces sources d’énergie.
C’est dans ce contexte que de nouveaux acteurs privés sont nés. Parmi eux, les plates-formes de financement participatif, ou crowdfunding, représentent un nouveau mode de financement de la transition orienté vers la participation citoyenne.
Porté par la révolution numérique et le développement de l’économie collaborative, le crowdfunding dans le domaine des énergies renouvelables (EnR) constitue un moyen de mobiliser des capitaux à destination de la transition énergétique ; il offre une solution complémentaire de financement des projets.
Une forte croissance depuis 2016
Ce crowdfunding s’appuie sur des plates-formes numériques – la plupart sont recensées sur le site de l’association Financement participatif France – qui permettent de collecter des fonds venant du public, des investisseurs individuels, pour financer des projets sous la forme de prêts, de dons ou d’acquisitions de titres de sociétés (actions ou obligations).
En France, le crowdfunding d’EnR a connu une forte croissance grâce notamment à un cadre réglementaire favorable. Entre 2016 et 2020, il a enregistré une croissance annuelle moyenne des montants collectés d’environ 80 %. Il est ainsi passé d’environ 12 millions d’euros en 2016 à plus de 102 millions d’euros en 2020 (correspondant à 194 projets).
À titre de comparaison, d’après I4CE, les investissements dans les installations de production d’électricité renouvelable sont stables autour de 4,5 milliards d’euros chaque année depuis 2017, avec des évolutions contrastées selon les filières.
L’énergie solaire représente la part la plus importante des montants collectés auprès des citoyens en 2020 (83 %), suivie du biogaz (6,5 %) et de l’énergie éolienne (4 %, en forte baisse au cours de ces dernières années).
Ces chiffres témoignent du potentiel de cette démarche pour contribuer au financement de la transition énergétique. Et l’on peut identifier trois raisons pour expliquer ce succès grandissant de telles initiatives.
Une démarche tournée vers l’acceptabilité
Si le crowdfunding d’EnR représente une solution de financement de la transition énergétique, il constitue aussi un levier du développement territorial et un moyen d’accroître l’acceptabilité des renouvelables en impliquant davantage les citoyens, et parfois les collectivités territoriales, dans le soutien des projets.
À titre d’illustration, 889 particuliers résidant partout en France ont financé 16 % de l’investissement total du projet de construction de six serres agricoles photovoltaïques dans les Pyrénées-Orientales, mené par le leader français de la production d’énergie photovoltaïque, Amarenco. La campagne a levé 3 000 000 d’euros sous forme de prêts réalisés en obligations convertibles pour un taux d’intérêt fixe de 7 % par an sur une durée de 3 ans.
À l’inverse, c’est seulement 32 habitants ou personnes morales qui ont financé une phase du développement du projet de parc éolien de Côte des Vauzelles porté par RES, acteur historique sur le marché français des énergies renouvelables.
D’abord réservée aux riverains du projet, puis ouverte à des investisseurs résidant dans les Ardennes et ensuite dans la région Grand-Est, la campagne a permis de collecter la totalité de l’étude du scénario optimal d’implantation d’éoliennes (insertion paysagère, impacts écologiques, gestion des contraintes techniques…) soit 60 000 euros souscrits en minibons sur une durée de 2 ans avec un taux d’intérêt fixe de 6 % par an.
Selon notre analyse des données de l’enquête YouGov France 2019, la volonté de contribuer au déploiement des EnR, la sensibilité aux causes environnementales et, dans une moindre mesure, les préoccupations en matière de contribution au développement économique du territoire et de proximité géographique des projets, font partie des principales motivations des crowdfunders à investir dans des projets d’EnR.
Cette démarche de crowdfunding s’inscrit dans une démarche participative où les citoyens peuvent devenir, individuellement et collectivement, des acteurs du déploiement local des EnR et du développement économique de leur territoire.
Une rentabilité plus élevée
Toujours d’après notre analyse des données des principales plates-formes – Enerfip, Lendopolis, Lendosphere et Lumo qui représentaient ces dernières années entre 74 et 99 % des montants collectés par le secteur du crowdfunding d’EnR –, la grande majorité du financement participatif dans ce secteur s’est faite, de 2014 à 2019, par investissement sous forme d’obligations (84 %), de prêts (5 %) et d’actions (moins de 2 %).
Quel que soit l’instrument de financement en dette choisi, investir dans le crowdfunding d’EnR permet aux citoyens de réaliser un placement plus rémunérateur que les placements traditionnels – aujourd’hui le taux d’intérêt est de 0,5 % pour le livret A et de 1 % pour le PEL.
La même étude montre, par exemple, que le rendement moyen des obligations a varié entre 3,6 % et 5,5 % (pour des durées d’investissement de 3 à 6 ans) et celui des prêts entre 4,3 % et 6,5 % (sur des durées de 1 à 4 ans). Quant aux épargnants habitués à investir dans des titres financiers, le crowdfunding permet de diversifier les placements, le rendement de ces placements semblant peu corrélé aux fluctuations des marchés financiers.
Un mode d’investissement simplifié
L’investissement via le crowdfunding se distingue par sa grande simplicité : il suffira de disposer d’une connexion Internet, de créer un compte utilisateur, de choisir un ou des projets à financer, et de réaliser un paiement sur la plate-forme (qui ne prélève généralement aucuns frais sur l’investissement réalisé par l’épargnant) pour y prendre part.
L’investissement est également facilité grâce aux efforts de pédagogie déployés par les différentes plates-formes (conseils sur les étapes de la souscription et les risques des projets ; informations sur les contenus et les impacts des projets soutenus ; évolution de l’épargne investie).
Le placement sans risques n’existe pas !
Nous venons de détailler les raisons du succès du crowdfunding dans le domaine des EnR. Reste que sur le plan strictement financier, cette démarche constitue un placement impliquant un risque de non-remboursement, et donc de perte partielle ou totale du capital investi, en cas de défaillance du porteur de projet. Il existe aussi un risque de liquidité, c’est-à-dire un risque associé au fait de ne pas pouvoir revendre les titres de crowdfunding.
Au moment de la sélection des projets, les plates-formes de crowdfunding spécialistes des EnR sont davantage capables d’identifier les projets les plus performants sur le plan technologique. Les projets font l’objet d’un audit puis d’une sélection par un comité selon différents critères (qualités techniques, impact écologique, retombées sociales et économiques locales). Ce processus de sélection dédié aux EnR ne semble toutefois pas encore généralisé à toutes les plates-formes proposant de tels projets.
Au moment de la décision d’investir, l’investisseur dispose de toute l’information rendue publique par le porteur et sur la façon dont son argent devrait être utilisé. En tant qu’unique intermédiaire, la plate-forme participe à la transparence de l’information pendant et après la levée de fonds. Toutefois, toutes les plates-formes n’ont pas mis en place un reporting systématique des projets après la phase de collecte. Les investisseurs ne sont donc pas nécessairement informés de l’utilisation réelle de leurs placements.
Les régulateurs semblent avoir pris conscience de l’ensemble de ces risques et se sont récemment coordonnés pour harmoniser la réglementation qui encadre l’activité des plates-formes de crowdfunding à l’échelle communautaire.
Dans cette perspective, un règlement européen entrera en application fin 2021 et viendra renforcer les exigences réglementaires nationales. Associé au durcissement des conditions d’accès aux dispositifs de soutien de financement des EnR, le potentiel de croissance du crowdfunding d’EnR pourrait être significativement affecté.